Victor Hugo
ACTE PREMIER.
les conjurés.
la taverne des trois-grues.
Des tables, des chaises de bois grossier. — Une porte au fond du théâtre donnant sur une place.
Intérieur d’une vieille maison du moyen-âge.
SCÈNE PREMIÈRE.
LORD ORMOND, déguisé
en tête-ronde, cheveux coupés très courts, chapeau à haute forme et à
larges bords, habit de drap noir, haut-de-chausses de serge noire,
grandes bottes ;
LORD BROGHILL, costume de cavalier élégant et négligé, chapeau à plumes, haut-de-chausses et pourpoint de satin à taillades, bottines.
lord broghill.
Il
entre par la porte du fond qui reste entr’ouverte et qui laisse
apercevoir la place et les vieilles maisons éclairées par le petit jour.
Il tient un billet ouvert à la main et le lit attentivement. Lord
Ormond est assis à une table dans un coin obscur.
« Demain, vingt-cinq juin mil six cent cinquante-sept,
« Quelqu’un, que lord Broghill autrefois chérissait,
« Attend de grand matin ledit lord aux Trois-Grues,
« Près de la halle au vin, à l’angle des deux rues. »
« Quelqu’un, que lord Broghill autrefois chérissait,
« Attend de grand matin ledit lord aux Trois-Grues,
« Près de la halle au vin, à l’angle des deux rues. »
Il regarde autour de lui.
— Voilà bien la taverne ; — et c’est le même lieu
Que Charle, à Worcester abandonné de Dieu,
Seul, disputant sa tête après son diadème.
Avait, pour fuir Cromwell, choisi dans Londres même.
Que Charle, à Worcester abandonné de Dieu,
Seul, disputant sa tête après son diadème.
Avait, pour fuir Cromwell, choisi dans Londres même.
Il reporte les yeux sur la lettre.
— Mais ce billet qu’hier j’ai reçu, d’où vient-il ?
L’écriture…
L’écriture…
LORD ORMOND, se levant.
Que Dieu conserve lord Broghill !
LORD BROGHILL, l’examinant d’un air dédaigneux de la tête aux pieds.
Quoi ! c’est donc toi, l’ami, qui me fais à cette heure
Pour ce bouge enfumé déserter ma demeure !
Dis ton nom. D’où viens-tu ? pourquoi ? de quelle part ?
Que me veux-tu ? — J’ai vu cet homme quelque part.
Pour ce bouge enfumé déserter ma demeure !
Dis ton nom. D’où viens-tu ? pourquoi ? de quelle part ?
Que me veux-tu ? — J’ai vu cet homme quelque part.
LORD ORMOND.
Lord Broghill !
LORD BROGHILL.
Réponds donc ! les marauds de ta sorte
Sont faits pour amuser nos gens à notre porte ;
Et c’est là tout l’honneur, pour les traiter fort bien.
Que ceux de notre rang doivent à ceux du tien.
Je te trouve hardi !
Et c’est là tout l’honneur, pour les traiter fort bien.
Que ceux de notre rang doivent à ceux du tien.
Je te trouve hardi !
LORD ORMOND.
Mylord, sans vous déplaire,
Sont-ce là les discours d’un seigneur populaire ?
D’un ami de Cromwell ?
D’un ami de Cromwell ?
LORD BROGHILL.
Cromwell, vieux puritain,
Si tu le réveillais par hasard si matin.
Te ferait, pour changer le cours de tes idées,
Pendre à quelque gibet, haut de trente coudées.
Te ferait, pour changer le cours de tes idées,
Pendre à quelque gibet, haut de trente coudées.
LORD ORMOND, à part.
Plutôt que réveiller, j’espère l’endormir !
LORD BROGHILL.
Cromwell, qui sur le trône enfin va s’affermir,
Saura bien châtier la canaille insolente...
Saura bien châtier la canaille insolente...
LORD ORMOND.
Son trône est un billot, et sa pourpre est sanglante.
Transfuge serviteur des Stuarts, je le vois.
Vous l’avez oublié.
Transfuge serviteur des Stuarts, je le vois.
Vous l’avez oublié.
LORD BROGHILL.
Ce regard... cette voix...
Mais qui donc êtes-vous ?
LORD ORMOND.
Broghill me le demande !
Rappelez-vous, mylord, les guerres de l’Irlande.
Tous deux ensemble alors nous y servions le roi.
Tous deux ensemble alors nous y servions le roi.
LORD BROGHILL.
C’est le comte d’Ormond ! mon vieil ami, c’est toi !
Il lui prend les mains avec affection.
— Toi dans Londre ! et, grand Dieu ! la veille du jour même
Où Cromwell triomphant s’élève au rang suprême !
Ta tête est mise à prix. Si l’on vient à savoir…
Que fais-tu donc ici, malheureux ?
Où Cromwell triomphant s’élève au rang suprême !
Ta tête est mise à prix. Si l’on vient à savoir…
Que fais-tu donc ici, malheureux ?
LORD ORMOND.
Mon devoir.
LORD BROGHILL.
T’ai-je pu méconnaître ? Ah ! — Mais cet air sinistre,
Mylord, — les ans, — surtout cet habit de ministre...
Vous êtes si changé !
Mylord, — les ans, — surtout cet habit de ministre...
Vous êtes si changé !
LORD ORMOND.
Je le suis moins que vous,
Broghill ! devant Cromwell vous pliez les genoux.
Broghill se courbe aux pieds d’un régicide infâme !
Moi, j’ai changé d’habits, mais toi, de cœur et d’âme !
Te voilà, toi qu’on vit si grand dans nos combats !
Tu ne montais si haut que pour tomber si bas !
Broghill se courbe aux pieds d’un régicide infâme !
Moi, j’ai changé d’habits, mais toi, de cœur et d’âme !
Te voilà, toi qu’on vit si grand dans nos combats !
Tu ne montais si haut que pour tomber si bas !
LORD BROGHILL, choqué.
Ah ! — vaincu, je vous plains ; proscrit, je vous révère ;
Mais ce langage…
Mais ce langage…
LORD ORMOND.
Est juste autant qu’il est sévère.
Pourtant, écoute-moi, tu peux tout réparer.
Sers-moi…
Sers-moi…
LORD BROGHILL.
Près de Cromwell ! Oui, je cours l’implorer.
Je puis sauver ta vie : elle est proscrite…
LORD ORMOND.
Arrête !
Demande-moi plutôt de protéger ta tête.
Ton insultant appui, ton protecteur, ton roi,
Ton Cromwell est plus près de sa perte que moi.
Ton insultant appui, ton protecteur, ton roi,
Ton Cromwell est plus près de sa perte que moi.
LORD BROGHILL.
Qu’entends-je ?
LORD ORMOND.
Écoute donc. Dévoré de tristesse,
Las des titres mesquins de protecteur, d’altesse,
Cromwell veut être enfin, au dais royal porté.
Salué par les rois du nom de majesté.
Cromwell, dans ce butin que chacun se partage,
Prend de Charles premier le sanglant héritage.
Il l’aura tout entier ! son trône et son cercueil.
Le régicide roi saura dans son orgueil
Que la couronne est lourde, et, bien qu’on s’en empare.
Qu’elle écrase parfois les têtes qu’elle pare !
Cromwell veut être enfin, au dais royal porté.
Salué par les rois du nom de majesté.
Cromwell, dans ce butin que chacun se partage,
Prend de Charles premier le sanglant héritage.
Il l’aura tout entier ! son trône et son cercueil.
Le régicide roi saura dans son orgueil
Que la couronne est lourde, et, bien qu’on s’en empare.
Qu’elle écrase parfois les têtes qu’elle pare !
LORD BROGHILL.
Que dis-tu ?
LORD ORMOND.
Que demain, à l’heure où Westminster
S’ouvrira pour ce roi, que va sacrer l’enfer,
Sur les marches du trône un instant usurpées.
On le verra sanglant rouler sous nos épées !
Sur les marches du trône un instant usurpées.
On le verra sanglant rouler sous nos épées !
LORD BROGHILL.
Insensé ! son cortège est l’armée, et toujours
Ce mouvant mur de fer enveloppe ses jours.
Sais-tu bien seulement le nombre de ses gardes ?
Comment percerez-vous trois rangs de hallebardes,
Ses pesants fantassins, ses hérauts, ses massiers,
Ses mousquetaires noirs, ses rouges cuirassiers ?
Ce mouvant mur de fer enveloppe ses jours.
Sais-tu bien seulement le nombre de ses gardes ?
Comment percerez-vous trois rangs de hallebardes,
Ses pesants fantassins, ses hérauts, ses massiers,
Ses mousquetaires noirs, ses rouges cuirassiers ?
LORD ORMOND.
Ils sont à nous.
LORD BROGHILL.
Quel est l’espoir où tu te fondes,
De voir aux cavaliers s’unir les têtes-rondes !
LORD ORMOND.
Tu verras de tes yeux, ici, dans un moment.
Les gens du roi mêlés à ceux du parlement.
Aux sombres puritains leur fanatisme parle.
Ils ne veulent pas plus d’Olivier que de Charle.
Si Cromwell se fait roi, Cromwell meurt sous leurs coups.
Son rival et leur chef, Lambert se joint à nous ;
À remplacer Cromwell il ose bien prétendre ;
Mais nous verrons plus tard ! L’or d’Espagne et de Flandre
Nous a fait dans ces murs de nombreux affidés.
Bref, la partie est belle, et nous jetons les dés !
Les gens du roi mêlés à ceux du parlement.
Aux sombres puritains leur fanatisme parle.
Ils ne veulent pas plus d’Olivier que de Charle.
Si Cromwell se fait roi, Cromwell meurt sous leurs coups.
Son rival et leur chef, Lambert se joint à nous ;
À remplacer Cromwell il ose bien prétendre ;
Mais nous verrons plus tard ! L’or d’Espagne et de Flandre
Nous a fait dans ces murs de nombreux affidés.
Bref, la partie est belle, et nous jetons les dés !
LORD BROGHILL.
Cromwell est bien adroit ! vous jouez votre tête.
LORD ORMOND.
Dieu sait pour qui demain doit être un jour de fête.
Notre complot, Broghill, est d’un succès certain.
Rochester doit ici m’amener ce matin
Sedley, Jenkins, Clifford, Davenant le poëte
Qui nous porte du roi la volonté secrète.
Au même rendez-vous viendront Carr, Harrison,
Sir Richard Willis...
Notre complot, Broghill, est d’un succès certain.
Rochester doit ici m’amener ce matin
Sedley, Jenkins, Clifford, Davenant le poëte
Qui nous porte du roi la volonté secrète.
Au même rendez-vous viendront Carr, Harrison,
Sir Richard Willis...
LORD BROGHILL.
Mais ceux-là sont en prison.
Ce sont des ennemis que dans la tour de Londre
Cromwell tient enfermés.
Cromwell tient enfermés.
LORD ORMOND.
Un mot va te confondre.
Liés au même sort par des nœuds différents.
Pour abattre Olivier, nous comptons dans nos rangs
Pour abattre Olivier, nous comptons dans nos rangs
Le gardien de la tour, Barksthead le régicide,
Que l’espoir du pardon à nous servir décide.
Tu vois avec quel art le complot est formé.
Dans un vaste réseau Cromwell est enfermé.
Il n’échappera pas ! Les partis unanimes
Sous le trône qu’il dresse ont creusé des abîmes.
Voilà pour quel dessein je viens du continent.
Je voudrais te sauver, Broghill ; et maintenant
Je t’interpelle au nom de Charles deux, mon maître.
Veux-tu vivre fidèle, ou veux-tu mourir traître ?
Que l’espoir du pardon à nous servir décide.
Tu vois avec quel art le complot est formé.
Dans un vaste réseau Cromwell est enfermé.
Il n’échappera pas ! Les partis unanimes
Sous le trône qu’il dresse ont creusé des abîmes.
Voilà pour quel dessein je viens du continent.
Je voudrais te sauver, Broghill ; et maintenant
Je t’interpelle au nom de Charles deux, mon maître.
Veux-tu vivre fidèle, ou veux-tu mourir traître ?
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